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Durant plusieurs années j’ai cru que la honte était une émotion en soi ou que la honte faisait partie des grandes familles d’émotions[1] dénombré par le psychologue américain Paul Eckmann :

  1. La joie
  2. La colère
  3. La tristesse
  4. La peur
  5. La surprise
  6. Le dégoût

La honte est un phénomène plus complexe qui fait appel à différents types d’émotions telle que la peur, la tristesse, la colère et des sentiments tels que l’impuissance, la rage retenue, le désespoir, le vide…

Je vais illustrer le ressenti de la honte à partir d’une situation vécue récemment dans un contexte professionnel.

Illustration

Il y a quelques mois, un collègue consultant-formateur et associé d’un cabinet pour lequel je réalise des formations en sous-traitance pour le compte de leurs clients, m’écrit par e-mail un vendredi soir et m’annonce que dans le cadre de leur certification Qualiopi, il a observé que ma note moyenne de retours de satisfaction des clients dans les dossiers que j’ai traités, se situe en dessous de la moyenne, et en dessous de la moyenne nationale du réseau de formateurs sous-traitants. De ce fait, il prend la décision de mettre fin à notre collaboration et transmettra sa décision au Siège qui me supprimera de leur base de données et supprimera également mes accès aux outils informatiques de leur réseau.

Mes ressentis à ce moment-là :

Coup de massue pour moi. Incompréhension. Sidération.

Mes actions et mon dialogue interne à ce moment-là :

Je reprends dans la foulée les différents dossiers que j’ai traité depuis deux ans pour leur Cabinet. J’observe un décalage avec les retours dont je dispose et l’annonce de ma note en dessous de la moyenne. Néanmoins j’ai en tête un dossier pour lequel j’avais eu un groupe de participants difficile à gérer qui avait exprimé de manière virulente leurs désaccords et opposition à leur Direction ce qui avait quelque peu agité le déroulé de la formation. Pour autant, mon collègue m’avait soutenu lors de cette dite formation et dans ma capacité à animer la formation au mieux, auprès de ce groupe.

Je me dis alors que peut-être l’explication de cette note, venait de ce dossier. Pour autant un dossier pouvait-il justifier une moyenne aussi basse. Je n’y croyais pas.

Je décide d’appeler mes deux collègues, associés du Cabinet pour obtenir plus de précisions et échanger ensemble. Pas de réponse.

Mes ressentis à ce moment-là :

Je ressens de la colère. Je me sens humiliée.

Par cette annonce par e-mail, cela me faisait ressentir la remise en question de mes compétences. C’est comme s’ils annonçaient ou révélaient mon incompétence. Je ressentais de la honte dans le fait de paraître incompétente à leurs yeux et du fait que leur annonce allait être diffusée au Siège et au réseau.

Crédit photo : www.flickr.com / @Perdudutemps

Comme dit Sartre : « la honte naît sous le regard d’autrui ».

Je me sentais humiliée d’être « éjectée » ainsi par e-mail après deux ans de collaboration et de confiance, de dialogue et de sympathie.

Mes actions :

J’ai laissé passer quelques jours puis je leur ai écrit en mettant en pièces-jointes, les questionnaires de satisfaction des différents dossiers clients sur lesquels j’étais intervenus et où il y avait de bons retours de satisfaction des participants. Je leur demandais plus de précisions quant au calcul de cette note/

L’un des associés a répondu en précisant que la moyenne obtenue était calculée à partir de leur logiciel et qu’il n’avait pas d’autres éléments de précision à m’apporter. Néanmoins malgré ce choix, ils me conservaient toute leur sympathie et me souhaitait un bon développement de ma structure.

Ma décision :

J’ai ensuite fait le choix de ne pas mettre plus d’énergie dans l’obtention d’explication et de dialogue.

Mes ressentis avec du recul et la phase de métacognition :

Néanmoins avec du recul je crois que j’accepte de me laisser traverser par l’humiliation que j’ai ressenti à l’égard du sentiment d’incompétences que leur décision m’a fait vivre. Traverser ce sentiment inconfortable d’humiliation sans me cacher. Et mettre cette expérience au service de l’analyse de mes pratiques professionnelles.

L’émotion véritable qui se cache derrière la honte :

La honte selon Richard Erskine :

Richard Erskine [2]définit la honte comme un processus complexe qui comporte une représentation diminuée de soi et de sa valeur ; par soumissions aux humiliations externes, et ou aux critiques introjectées. Une tristesse et une peur issues d’expérience passée […]

La honte et l’arrogance vertueuse sont des mécanismes de protection qui aident l’individu à éviter la vulnérabilité à l’humiliation et à la perte de contact dans la relation. Lorsqu’une relation est entachée par les critiques, la ridiculisation, les reproches, les attributions, par le fait d’ignorer l’autre, ou tout autre comportement humiliant, le résultat en est une vulnérabilité accrue dans la relation. Le contact ou l’attachement sont rompus[3].

Credit photo : www.flickr.com @Tleilaxus

Je trouve important de regarder plus en détails le ressenti de ma colère. Il s’agit de ma colère envers les deux associés sur la violence de leur décision sans dialogue préalable et recherche d’options possibles autres que cette décision définitive. Je n’ai pas exprimé ma colère. J’ai fait le choix de ne pas le faire. Je fais l’hypothèse que ma honte serait donc un sentiment parasite à ma colère.

La honte est-elle systématiquement un sentiment parasite qui « cache » l’émotion véritable refoulée ?

La peur du jugement des autres :

Le ressenti de ma honte se situe également dans le fait de me sentir honteuse de dire à mon entourage ce qui s’était passé ; la décision de ce cabinet de ne plus collaborer avec moi. Que penseraient mes collègues ? mon conjoint ? Certains de mes collègues et clients pourraient douter et ne plus vouloir également travailler avec moi. Je cachais cette situation dans mes échanges avec mon entourage.

Aller au-delà de la honte ; oser affronter le regard de l’autre :

Écrire cet article par exemple, est pour moi une forme de réparation de ma honte. Oser dire ce que leur décision m’a fait vivre en termes de posture professionnelle et sur le fait de me sentir incompétente à leurs yeux.

Aller au-delà de la honte c’est, il me semble, faire fi du regard des autres, de leurs éventuels jugements.

L’humiliation est à distinguer de la honte :

Je distingue et à la fois je fais le lien entre le ressenti de ma honte et l’humiliation que j’ai également ressentie ainsi que ma peur du jugement des autres et la colère envers les deux associés.

Lorsque je me sens humiliée c’est lorsque les paroles, les actes, les décisions d’une autre personne viennent me dévaloriser ; l’estime de moi, ma valeur, mes compétences professionnelles, ma façon d’être. Me sentir humiliée tant dans mon être que dans ce que j’ai fait.

Le sentiment d’humiliation peut-être d’autant plus élevé lorsqu’il y a « des spectateurs ». Dans la situation que j’ai vécue, les deux associés étaient en copie et celui qui écrivait annonçait qu’il allait avertir le Siège, de leur décision. 

La honte se situe dans mon incapacité à exprimer ma colère envers mes interlocuteurs et à aller au-delà de ma peur du jugement de l’autre. C’est une manière de me refermer sur moi et de ne pas exprimer clairement ces deux émotions véritables que j’ai ressenti dans cette situation ; la colère et la peur.

Je dirai même : me sentir honteuse de ressentir de la colère et de leur l’exprimer.

Anne-Marie Clémençon

Étudiante à l’École d’Analyse Transactionnelle de Lyon (EAT Lyon) depuis 2018.

Cycle de professionnalisation – 1 ère année – Parcours de psychopraticienne

Consultante-Formatrice en santé/sécurité au travail

#Prévention des risques psychosociaux

#Animatrice de groupes de co-développement professionnel

#Intervenante en Analyse des Pratiques Professionnelles (A.P.P)


[1] Le psychologue américain Paul Eckmann, pionnier dans l’étude des émotions, a observé les expressions faciales dans diverses cultures et a dénombré 6 émotions fondamentales : la joie, la colère, la peur, la tristesse, la surprise, le dégoût.

[2] Les orientations récentes de l’AT. José Grégoire.

[3] Honte et Arrogance vertueuse: Perspectives transactionnalistes et Interventions cliniques – Richard G. Erskine

– Traduction : Hélène CADOT